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Interview

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L e s   D e s s o u s   d e

   l a   M u s i q u e   M é c a n i q u e

 

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Interview de Michèle & Vincent, Tourneurs de Manivelle

France Bleu Drôme Ardèche


FB : Avant de parler des dessous de la Musique mécanique, pouvez vous déjà nous dire ce qu'est en fait la Musique Mécanique ?

M & V : Le Musicien est remplacé soit par un disque de carton perforé, soit par un cylindre métallique piqué de nombreuses aiguilles soit par un carton perforé en accordéon ou encore par un rouleau de papier perforé. L'énergie nécessaire à la production de musique peut être un ressort d'acier, comme par exemple pour les petits coffrets à musique, ou alors par une descente de poids qui entraîne la rotation d'un axe, ou aussi plus simplement par une manivelle actionnée par la main de l'homme. Quand la fée Electricité est apparue, on a vu faire tourner la manivelle par un moteur électrique, surtout pour les plus gros orgues, de foire ou de danse.

La "famille Musique Mécanique" est une grande famille et on trouve donc une gamme très large d'instruments ; on peut en effet "mécaniser" presque tous les instruments ( Piano, accordéon, percussions, violon trompette, orgue ...) C'est en effet l'intérêt que porte l'inventeur à son instrument et son ingéniosité qui donne des résultats parfois très surprenants. Mais il reste vrai que la Musique Mécanique s'est fait essentiellement remarquée par les Pianola, pianos droits mécaniques à monnayeur que l'on pouvait trouver dans les cafés, les Orgues de Foire, ou Limonaires et les orgues de Barbarie, de taille plus modeste que les orgues de foire mais qui avaient l'avantage d'être portables ou ambulants, et que l'on appelait les Orgues de Rues.

Notre passion de la Musique Mécanique se portant plus sur la musique de rue, je vous propose de vous présenter les différentes particularités des Orgues de Barbarie.

BB : Mais tout d'abord, pourquoi ces instruments s'appellent des orgues de Barbarie ? Y a t il quelque chose de "barbare" autour de cet instrument ?


Non, aucune idée barbare près de nos orgues de rue, et ne cherchez pas non plus de relation avec un certain canard, vous savez très bien que canard et musique ne sont pas très amis. En fait le nom de Barbarie vient par altération de Monsieur Barberi qui était un des premiers fabricants d'orgues Italien de la fin du XIX siècle dans la ville de Modène entre Bologne et Parme. Voilà pour l'étymologie.

 

Pour l'époque, on vient de parler de la fin du XIX siecle et on est sûr que dès 1850, la Musique Mécanique existait puisque l'on trouve des archives papier le prouvant, mais peut être que la naissance du premier instrument de musique mécanique a eu lieu vers 1830. Mais une chose est certaine, c'est que l'apothéose a lieu vers 1900-1930 et le déclin dès l'apparition et la distribution du phonographe.

 

FB : Mais au fait, Vincent, comment ça marche ?

M & V : Un Orgue de Barbarie est un instrument à vent, de musique mécanique, dans lequel l'admission de l'air, qui met en vibration les tuyaux sonores, est réglée par le défilement de bandes perforées entraînées au moyen d'une manivelle.

L'axe de la manivelle a toujours deux fonctions : 

 Sa première fonction est d'actionner un ou plusieurs soufflets pour gonfler une réserve d'air. Quand la réserve est pleine, l'instrument est prêt à jouer et sonne juste. Pour éviter qu'elle n'éclate, quand la pression produite n'est pas utilisée immédiatement une petite soupape laisse échapper l'air silencieusement. Cette notion de pression est très importante, car l'instrument est accordé au niveau de la flûte ( ou tuyau d'orgue) pour une pression d'air bien précise. Et un excès ou un manque de pression entraîne une fausse note (ou un canard, de Barbarie, bien sur !)

Sa deuxième fonction est l'entraînement de la bande perforée, réglée comme du papier à musique, qui va commander l'émission des différentes notes de la mélodie. Reste bien sur au tourneur de manivelle de tourner avec régularité et au bon tempo.

 

 Cette manivelle, on l'a retrouve sur tous les Orgues de Rue avec ces deux fonctions. Mais ensuite pour la partie technique on trouve deux familles d'orgues, les Mécaniques et les Pneumatiques.

Pour les pneumatiques, les commandes ou clapets pour l'air qui part dans les flûtes sont les perforations du papier ou du carton. Les tuyaux d'amenée d'air sont donc coupés pour le passage du papier au niveau d'une pièce que l'on appelle la flûte de pan. Quand le papier ne présente aucune perforation, l'air ne passe pas et fait silence. Quand une perforation se présente, elle laisse passer l'air dans un tuyau qui mène à la flûte.

Quant aux Orgues dit mécaniques, il y a une pièce de commande mécanique en plus que l'on appelle une boite à touches. Cette pièce est en fait un clavier muni de dents et, à l'inverse du clavier du piano, sur lequel il est nécessaire d'appuyer sur une touche pour obtenir un son, sur ce mini clavier d'orgue de barbarie, quand toutes les touches sont enfoncées, aucun son ne sort. C'est le cas quand le carton ne présente aucune perforation. Par contre, quand un petit trou se présente, la touche remonte, actionnant une soupape et libérant l'air pour produire la note. Ce procédé, grâce à l'intermédiaire de cette pièce de commande permet une meilleure étanchéité, un meilleur vieillissement et donc une note beaucoup plus juste.

Voilà sommairement, pour la présentation mécanique de l'instrument, mais il serait dommage de ne parler que de technique pour présenter la Musique Mécanique. Si la technique est nécessaire, il faut savoir que la partie création musicale est aussi importante sinon plus. En effet l'instrument seul ne peut produire aucune mélodie, il a besoin du carton perforé et c'est là que la partie musicale intervient !

 

 FB : Alors dites nous, ces cartons en accordéons qui font la merveille des yeux en se dépliant et se repliant simplement mais parfaitement, comment sont ils faits et surtout en trouve t'on encore ?

 

M & V :Pour comprendre le carton, il faut tout d'abord savoir qu'il n'y a aucune norme pour la tessiture des orgues. (La tessiture d'un instrument est l'ensemble des notes que possède l'instrument). Et pour nos Orgues de Barbarie, chaque fabricant avait en fait sa propre norme et fabriquait donc selon ses idées et goûts musicaux. Il choisissait alors le nombre de notes pour ses instruments et aussi les notes elles mêmes. Ce qui veut dire sur un plan pratique, que l'on trouve des instruments avec 18, 24, 27, 29 notes… pouvant aller jusque 84 mais ce n'est pas tout, on peut trouver deux instruments ayant le même nombre de notes mais pas les mêmes notes et on peut aussi trouver deux instruments avec le même nombre de notes, les mêmes notes choisies dans la gamme chromatique mais avec un espace différent entre les touches et les cartons de l'un ne fonctionnent donc pas pour l'autre.

J'arrête là, car à voir votre tête, je devine que vous avez compris que les cartons d'orgue de barbarie, c'est très compliqué et que ça marche pour son instrument mais pas pour celui du voisin !

Ca résume bien la situation de l'époque où il avait beaucoup de petites factures d'orgues. Puis parmi ces petits artisans, il y a eu des "Petits" qui on voulu devenir "Grands" et qui ont augmenté leur production et de ce fait sur le marché, on trouve un grand nombre, par exemple, de Mortier ou de Thibouville ou Limonaire ou Herman ou Odin…et par la force des choses les "petits" ont dû fabriquer des "compatibles" avec ce qu'on appelle non pas la norme mais la Gamme Limonaire, Herman, Odin …Mais il faut savoir qu'il reste encore des petits artisans, facteurs d'orgues et qui ont toujours leur propre gamme.

Pour les cartons, il faut donc les trois caractéristiques de l'orgue : sa tessiture, la vitesse de défilement et la distance qui sépare les touches.

Ensuite, on choisit une mélodie, on achète la partition que l'on doit arranger à la tessiture de l'instrument. La partition utilisant toute la gamme chromatique, il faut remplacer les notes que ne possède pas l'instrument par des harmonies acceptées par l'instrument. Et c'est ici qu'il faut utiliser les performances du Musicien–noteur-arrangeur. Une fois arrangée, il faut transcrire la partition en poncif. C'est à dire trouver la correspondance Note et Perforation à placer sur le carton. Et là, le tour est joué, on fait appel au "Poinçonneur des Lilas" qui fait . . .

des P'tits trous, des P'tits trous toujours des P'tits trous …

Et le carton n'a plus qu'à se déplier et se replier, simplement mais parfaitement jusqu'à ce qu'il soit usé, à trous !

 

 FB : Mais dites, qu'est ce qu'il faut faire pour que le carton soit usé ? à trous !

 M & V :Mais il faut tourner bien sur ! ! ! Et c'est ce que nous faisons, nous tournons la manivelle, pour notre plaisir, pour le plus grand plaisir des autres, petits ou grands, jeunes ou moins jeunes.

 

Nous faisons partie d'une association et régulièrement nous nous retrouvons sur des festivals d'orgues de barbarie. Chaque festival est en fait une concentration de 30 à 100 orgues, qui se répartissent dans les rues d'une ville ou village typique, le temps d'un week end pour faire revivre un art traditionnel et populaire qu'est la Musique de Rue. Ca pour le côté "Spectateurs", et pour le côté "Tourneurs" c'est sur ces mêmes festivals que l'on trouve les derniers trucs et astuces qui animent notre passion. Si la Musique Mécanique vous fait vibrer, n'hésitez pas à faire quelques kilomètres pour visiter un festival d'orgues de barbarie, vous serez enthousiasmé. Il y a environ une quinzaine de festivals par an répartis sur la France, la Belgique; la Suisse et l'Italie. En France, ce sont surtout les régions sud qui accueillent les festivals, régions où il fait bon flâner le soir au son des orgues égrenant les airs de la vieille chanson française. Pour en citer quelques un, noter Les Gêts, Sainte Maxime, Saint Jean Royan, Chassier, Oingt, mais il n'y a pas que le sud, puisque Pavilly en Normandie en organise un tous les deux ans et un aussi en Bretagne. Pourquoi si peu dans notre région ? le climat y est pour quelque chose peut être mais le manque d'attrait des décideurs et sponsors, pour beaucoup. Quoique ?

Comme il y a assez peu de festival et que nous aimons beaucoup tourner, il nous arrive d'animer une fête locale à caractère rétro, ou un apéritif dans une réunion familiale. Notre registre est bien sur la vieille chanson française, mais nous avons aussi créer des cartons de musique classique et sacrée et proposons des petits concerts ou messes animées au son de notre Orgue de Barbarie. Mais à ce propos, je ne vous ai pas parler de notre Orgue ! En fait c'est un orgue mécanique que nous avons fait refaire à neuf, par un facteur d'orgue belge, un 29 touches avec 49 flûtes réparties sur 4 octaves. J'aime peu présenter notre instrument car je sais que lui seul prends plaisir à se présenter à vous, à vos yeux et à vos oreilles …

A bientôt, sur les routes de France, dans la rue, dans une église, ou peut être encore lors du premier festival d'orgues de barbarie dans le Pas de Calais…

 

Musicalement votre,

Michèle & Vincent